Le bonheur, pour Kai, c'est quand il vérifie ses messages et qu'il voit que son crush lui a répondu. Mieux encore, quand c'est ce-dernier qui l'aborde le premier. C'est une marque d'attention, ça veut dire qu'il ne fait pas juste partie du décor, comme Charlie dans The Perks of Being a Wallflower. - Le roman épistolaire l'avait complètement transporté et l'émotion était toujours là, quand il a refermé le livre et qu'il n'a pas pu en parler pendant un temps. Hier encore, il ne cessait d'y repenser, comparant sa propre situation à celle du héros. Il était tourmenté, mais, le monde devait-il le savoir, souffrir avec lui ? Non, si on lui avait posé la question, il aurait répondu : Je ne suis pas malheureux. Et ce n'aurait pas été un mensonge. Les choses auraient pu être bien pires et pourtant, alors que le ciel se débarrassait de  son manteau bleu et blanc pour laisser découvrir une peau sans nuée, orangée, il avait pensé à lui. Son meilleur ami. Juste amis, hein ? Il observa avec attention le message, ponctué d'un smiley faisant un clin d’œil, qui fit naître un immense sourire sur son visage. Il arrivait. Enfin, ils arrivaient. Il ne savait pas trop pourquoi, ils se ramenaient, c'est tout. Et quand il le répondit, il avait les doigts agités. Il mit un émoticône souriant, un cœur, effaça le cœur, hésita à le remettre, puis finalement, n'envoya pas le message, remit son smartphone dans la poche de son jean et reposa ses yeux sur l'horizon. Pourquoi était-ce aussi difficile pour lui de discuter normalement avec Oliver ? Il se sentait naze, à chaque fois. Oliver faisait toujours du rentre-dedans, mais il ne mesurait pas l'ampleur que prenaient ses avances. Si pour lui, il ne s'agissait que d'un jeu - et Dieu seul sait que Kai est habitué à jouer - pour le jeune Ryan, c'était de la torture. Coucher avec quelqu'un sans amour, c'était le truc d'Ollie. Ce n'était pas pour lui, mais comment expliquer ça à celui qui fuit l'engagement autant que les eaux troubles ? C'était une question récurrente, dans le monde de l'Hawaïen.
Il s'installa dans le fauteuil-balancelle de sa grand-mère, sur la terrasse couverte et observa pendant quelques minutes l'immense chêne dans le jardin. Fier, robuste, droit. Le soleil se couchait devant sa majestuosité et Kai suivait ce mouvement. A ce moment précis, il sut qu'il était loin d'être ce qu'il faisait croire. Il était bel et bien misérable, pathétique. Incroyablement perturbé par des histoires inventées. C'était la pire des choses que de s'imaginer tout un beau monde, puis de devoir faire face à la dure réalité : Il ne l'aime pas. Et alors qu'on lui avait appris à éviter ce piège, il était retombé dedans. Tombé dans ses bras. N'avait-il pas le droit d'être aimé à son tour ? N'avait-il pas appris de sa première erreur ? Pourquoi fallait-il que son cœur choisisse toujours les mauvaises personnes ? Était-elle si mauvaise, cette fois ? Se trompait-il de cible ? Ou avait-il manqué le point rouge, au milieu, battant, comme la mer entre deux côtes. Il n'avait aucune réponse à toutes ces questions, qui s'engluaient au fur et à mesure contre les parois de sa boîte crânienne, réduisant son champ de réflexion : il n'avait plus qu'une chose en tête, lui et seulement lui. Le beau connard au sourire aguicheur et au tableau de chasse bien alimenté.
Il arrivait, justement.
Seul.