Je suis né dans le Bronx. Enfant de la balle, j’ai toujours trainé dans les rues, faisant l’école buissonnière. J’ai fumé, bu et baisé bien plus jeune que les autres. Trop tôt pour bien apprécier. Comme beaucoup, j’aimais me prendre pour Tony Montana. Difficile pour quelqu’un qui n’est pas du milieu d’y entrer. Mais j’ai jamais prit un « Non » pour une réponse définitive. Alors j’ai décidé qu’ils pouvaient rester entre eux, ces vieux fossiles du Milieu, maintenant ce serait moi le boss. Rien ne me faisait peur, ni personne. Avec mes potes, on se croyait des gros durs qui allaient prendre la ville. Mais ça c’est pas passé comme prévu.

Premier Braquage. Il tourne forcément mal, avec une équipe amateur et un artificier manchot. C'est moi le pilote. Et je suis un très bon driver.

Le bruit assourdissant des coups de feu s’est arrêté, même si l’écho me résonne encore dans la tête. J’entends un martèlement sourd qui me remue les tripes et je sens comme un relent fade qui se mêle à l’odeur âcre de cordite et de poussière. On regarde tous les autres là bas. De leur coté aussi c’est le calme plat. J’entends juste Sean qui recharge son calibre doucement, balle par balle, comme s’il les bénissait toutes, une par une, personnellement. Sean me regarde, je regarde mon bras éclaboussé de sang. Ce n’est pas le mien mais la tiédeur moite et rouge me retourne l’estomac. Et je vois à coté de moi le visage blafard de Jack. C’était le seul d’entre nous à ne pas avoir de flingue, il se cachait juste derrière une table. Mais un gros éclat de métal lui a déchiré le bras comme une lame scie circulaire. Et le voilà qui couine « Maman, oh ça fait mal bordel ! » Il couine d’une toute petite voix et je vois sa gueule qui prend une vilaine couleur farine et il me regarde. Qu’est ce que je peux lui dire moi? Qu’est ce que je peux faire. J’aimerais presque qu’il crève tout de suite, qu’il arrête de me regarder comme ça, avec ses yeux de chiens battu. Mais les autres se sont barrés, il n'y a plus que lui et moi. Blam. Y’a plus que moi.

Je n’ai jamais été ce gosse timide et sage, celui qui a la frousse alors qu’il va passer pour la première fois le seuil de l’école. Alors ceux qui me cherchaient, ils m’ont toujours trouvés. M’écraser? Ça n’a jamais fait partie de mon vocabulaire. Travailler après avoir décroché un diplôme? Non merci, la vie active c’est fait pour ceux qui ont des diplômes et qui veulent perdre leur temps dans un boulot qu’ils détestent, avec des heures de transports en plus. J’ai commencé à toucher à tout, deal, racket, proxénétisme, usure. Bon en rien, mais pas bon à rien. Il y avait toujours moyen de vivre plutôt décemment dans la marginalité sans pour autant rouler sur l’or. Mais doucement, je me faisais un nom, je me faisais mon trou. Ça plaisait pas dans le quartier, je faisais de l’ombre aux autres. Alors on m’a cassé la gueule, ils sont venus en nombre pour taper un seul type, moi. Plutôt que me fatiguer à taper tout le monde, ce qui n’aurait pas été productif, je me suis acharné sur un seul type, le chef du groupe. Le type avait perdu je ne sais combien de dents dans la manœuvre. Il porte un dentier maintenant et il a un œil crevé. J’y avais planté mes dents. Je fus sauvé in extremis de la mort grâce à quelques rares potes que j’avais encore. Ils m’hébergeaient chez eux à tour de rôle jusqu’à ce que je sois rétabli. Je décidais de partir car ça commençait à chauffer pour mes fesses. Avec le blé que je m'était mis de coté je me barrais très loin, à Rosedale et achetais ma Dodge.

Odeur de bière rance et de cuir moite dans l’habitacle de la Dodge Charger 68. Tapie comme un puma sur le goudron tiède, comme un éclair de tôle et de bruit prêt à s’écraser coute que coute contre le mauvais vent. L’air est chargé d’ozone, voilà comment j'aime vivre, à deux cent à l'heure. Ici, à Rosedale, j'ai du apprendre à vivre comme tout le monde et je suis serveur. Je suis arrivé ici il y a maintenant une année.