« Tu fais quoi ? » Elle lève les yeux de son écran et croise le regard de James. Elle se recule un petit peu sur son siège et s’étire doucement. Elle tire ses muscles et fait craquer quelques os de son dos, restés figés bien trop longtemps dans une position qu’ils exécraient. « Je cherche des billets pour rentrer à la maison. » lui répond-elle doucement. Elle croise les bras derrière la tête et commence à se mordiller les lèvres. Il s’agissait là d’un mauvais tic qu’elle avait pris. Dès qu’elle se mordillait les lèvres, c’était que quelque chose la tracassait. James, qui la connait bien, fronce les sourcils et s’assoit près d’elle. « Qu’est ce qui se passe Arya ? » Elle laisse un instant de silence planer, seulement perturbé par le bruit du feuillettement des pages des livres autour d’eux. La bibliothèque de Yale, en ce samedi après-midi, est bondée d’étudiants hâtifs voulant finir leurs projets avant le soir pour se détendre. « Papa est malade. » Machinalement, Arya se met à se balancer sur son siège. Elle avait détourné son regard de son ami et fixe maintenant un point dans le vague, devant elle. Elle laisse ses yeux ambrés se promener sur les étagères touchées par des éclats de soleil, faisant scintiller la poussière comme des milliards de petits diamants. « Je vais partir m’occuper de lui pendant un moment ». Elle laisse sa phrase s’échapper de ses lèvres, et s’enrouler autour de son ami en explosant en des dizaines de gerbes. James s’approche, et pose une main douce sur son bras. Dans ses iris vertes pointent un mélange de tristesse et d’incompréhension. « Mais… et les cours alors ? ». Sa voix avait buté au mot « cours », rempli de mille et uns sous-entendus qu'il n'ose formuler. Allait-elle revenir un jour ? Les études, c’était vraiment fini ? Arya ne répond pas, émet seulement un petit soupir. Elle laisse la chaise retomber lourdement sur ses quatre jambes sur le vieux parquet et ferme son ordinateur portable dont le clapet ne fonctionne plus bien. Elle range ses affaires pêle-mêle dans son vieux sac à dos en toile et se relève. Il est temps pour elle de s'engager dans ce pan de vie que le destin lui avait réservé. Elle regarde autour d’elle, puis sourit à James, d’un de ces sourires tristes mais pleins de promesses, et qui contiennent bien plus de lumière qu’une infinité d’étoiles « Je reviendrai James. Promis ».

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Arya est dans son car qui bringuebale. Mustang des années 80, il serait plus correct de dire que c’est le véhicule qui décide de la trajectoire plutôt que la chauffeur. Aussi difficile à mener qu’un cheval qui n’a pas été débourré, ils avancent cahin-caha à travers des paysages devenus plus humides et chauds. Retenant ses valises qui manquent de tomber à chaque caillou de la route, Arya s’approche du bayou. Elle le voit à travers le paysage, mais elle le sent aussi, en elle. Ce truc qui t’appelle, qui te prend aux tripes et cette voix qui te murmure doucereusement à l’oreille, des relents jaunes s'échappant de sa bouche « ah tu es revenue. Ça faisait bien longtemps. » Crispée, les jointures de ses doigts s’étaient blanchies sur les poignées de ses bagages. Serait-elle revenue si ce n’était pour son père ? La réponse est sans appel. Non. La Nouvelle-Orléans, malgré son charme jazzo-français et son architecture si typique ne renferment que deux belles choses : son père et ses amis. Daisy lui envoyait d'ailleurs régulièrement quelques SMS, s’assurant tous les quarts d’heures qu’elle n’avait pas succombé à son long voyage à travers le pays. Dans une heure elle y serait.

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Elle passe une main douce sur son front, et relève les oreillers sur lesquels il est appuyé. Elle s’assied lentement près de lui, prend précautionneusement le bol chaud posé sur la table de nuit ainsi qu’une cuillère en métal et la plonge dans la soupe au potiron, où fond une noisette de beurre. « Je suis assez en forme pour manger tout un poulet ! » Arya hoche la tête, le recoin de ses lèvres se relevant pour former un sourire assuré. « Je sais. » Charles se relève tant bien que mal. Patiente, elle le laisse faire en l’observant calmement, continuant de touiller la mixture de temps en temps. Charles Fitzgerald, en tout père conservateur et traditionnel qu’il était, refusait l’idée de se voir adresser la becquée, même quand il était bien incapable de se lever seul de son lit. Malheureusement, leurs finances ne leur permettent pas d’avoir une infirmière à domicile, mais qu’importe. Cela rend Arya heureuse. S’occuper de lui comme il a pu s’occuper d’elle, veiller auprès de ses craintes et les effacer comme quand il faisait fuir ses cauchemars quand elle était petite. « Alors pourquoi insistes-tu ? » Elle hausse les épaules et regarde l’écran du téléviseur accroché au mur qui diffuse les dernières infos mondiales « Parce que la soupe, ça fait grandir, et que je trouve que tu as un petit peu rapetissé ces derniers temps » finit-elle par dire. Père et fille se défient du regard pendant quatre secondes, et finissent par être secoués par un fou rire en même temps. Arya se penche et lisse les draps blancs et frais d’aujourd’hui. A travers les monts et vallées que forme le tissu, on devine un manque, une absence. « Avec toi à mes côtés, les métastases n’ont qu’à bien se tenir. J’en suis presque prêt à y perdre ma deuxième jambe ». Arya sourit, tandis que tristesse colore ses yeux d'une autre nuance. Elle se rassoit, reprend son bol en main, plonge sa fourchette dans la soupe orange et en donne une bouchée à son cher papa.