La bibliothèque est un endroit calme où Jeremie aimait beaucoup se retrouver lorsqu'il était enfant et lorsqu'il y repense aujourd'hui, la tête derrière un énième livre, ce n'est pas bien différent. Et pourtant c'est différent. C'est différent parce qu'il n'est plus le même petit garçon d'autrefois. Il n'est plus le même et en même temps, en même temps, quelque part il reste des traces d'un passé qu'il ne veut pas oublier pour garder en tête qui il est. Jeremie referme le livre et observe la tranquillité de l'endroit.  Il n'y a pas beaucoup de monde et ce n'est pas pour lui déplaire. Il rentrera plutôt et ira peut-être la voir pour réfléchir.

Réfléchir sur lui-même ne lui a jamais fait peur. Parfois, il repense au passé avec nostalgie, d'autre avec tristesse mais bien souvent, il n'y a aucune trace de peine sur son visage. Sa mère. Il préfère n'en garder que des bons souvenirs pour ne pas repenser à ceux qui font encore mal. Il se souvient encore de ce Noël quand ils avaient construit ce bonhomme de neige. Il était magnifique et elle riait à gorge déployée. Et Jeremie riait aussi. Il se souvenait aussi de l'écharpe qu'elle lui mettait autour du cou même lorsqu'il faisait beau. Bien sûr, il râlait. "Mais maman regarde il fait beau." Et il pointait le soleil étincelant du doigt. Et elle lui disait qu'il allait pleuvoir ce soir et, souvent, elle avait raison. Il aimait sa mère même s'ils ne se le disaient pas souvent. Il y avait des moments partagés comme ceux-là qui la rendait unique. Tout comme son père. C'est d'elle qu'il a gardé cette passion des livres parce qu'elle aussi travaillait ici à l'époque, dans la bibliothèque. C'est un peu la sienne aussi. A moitié réveillé parfois, il se surprend de la voir entre les rayons à guider les gens à sa place et, souvent, c'est par deux fois qu'on l'appelle pour le ramener à la réalité. Elle n'est pas là et elle lui manque mais c'est la vie, il faut avancer. Cela fait sept ans maintenant qu'elle est partie.

Cette ville, il ne la quitterait pas même en gagnant des millions. Oui, il sait pertinemment que ce n'est pas avec un travail de bibliothécaire qu'il va rouler sur l'or mais la richesse et la reconnaissance ne sont pas les objectifs à atteindre. Il veut juste poursuivre son petit bonhomme de chemin comme il l'a toujours fait. Il reste aussi pour son père pour la bibliothèque mais surtout pour son père qui travaille dans un garage. Ce dernier a essayé de donner le gout de la mécanique à Jeremie sans y arriver. Le gosse préférait les bouquins, comme sa mère, le papier à la ferraille, le livre à la voiture. Voiture. Voiture. Ah oui. La voiture est l'objet d'un véritable blocage pour le blond qui regarde trois fois avant de traverser, préfère se retrouver à l'arrière et au milieu lorsqu'il accepte finalement de prendre la voiture et ... autant dire qu'il ne songe pas apprendre à conduire. De façade, on a l'impression qu'il a tourné la page alors qu'elle est bien présente où qu'il aille.

Du haut de ses vingt et un ans, Jeremie n'est qu'un gosse qui avance à reculons. C'est celui qui pourrait réaliser de grandes choses, vivre une vie de famille stable et confortable sans le vouloir ni y mettre du sien. Le Turner c'est un beau mélange de son père et de sa mère: la douceur mélangée à l'air hautain de la prudence pour ne pas avoir mal.