- J’ai fait des cookies, si avec ça il ne se souvient pas ! L’enthousiasme de sa mère est presque contagieux mais à défaut de la faire rire, il la fait au moins sourire. – Merci maman, je suis sure que ça lui plaira. Jo embrasse sa mère avant de prendre place à table, saluant ses frères et sœurs d’un geste de la main. – Oh, on pue ou quoi, bonjour c’est pas pour les pecnaux. Jace se penche sur la table et lui balance une pomme noisette, qu’elle prend en pleine joue. Trop étonnée pour réagir, elle observe cette dernière finir sa course au sol et note le silence stupéfait de la tablée. Il n’en faut pas plus pour qu’elle sorte de sa torpeur et attrape une carotte pour la lui balancer. Ses capacités sportives étant ce qu’elles sont, elle touche Jill qui pousse un petit cri outrageux. Il n’en faut pas plus pour que la tablée s’enflamme et que les victuailles volent d’une place à l’autre, pour que les cris se mêlent aux rires et que Jo sente immédiatement une chaleur faire fondre le froid de son cœur. Elle prend refuge sous la table et y croise Jazz, tranquillement installée au chaud, en sécurité. Un morceau de rôti lui tombe devant les yeux et elle l’écarte d’un geste rapide. - Ça va ?  Elle lui demande, de cet air sérieux qui est propre à leur cadette. - Mieux. Jo répond, tout à fait sérieuse. Ici, entourée d’amour et de tendresse, à la façon des Jensen, elle va un peu mieux. Elle se rappelle qu’il y a de l’espoir, même pour les plus démunis.

L’équilibre précaire mit en place menace de s’effondrer lorsque son téléphone sonne et que Jo, par habitude, baisse un bras pour l’attraper. Les housses qu’elle tient de l’autre côté tanguent dangereusement sur son bras, son café se répand à moitié sur la chaussée et un juron quitte ses lèvres. Mais tentant le tout pour le tout, au cas où ce soit important, elle cale son téléphone entre son épaule et son oreille et répond. – Oui ? Elle espère qu’elle n’a pas rayé son écran avec ses clés, qu’elle lutte désormais pour faire entrer dans sa portière. – Jo, comment ça va ? T’es où, je viens de passer chez toi ? Un soulagement palpable caresse ses sens alors que la voix de Jazz emplit son oreille. – Hôpital, pressing, café. Hôpital. Commissariat. Son emploi du temps en ce moment est complètement dingue, elle passe tellement peu de temps chez elle qu’elle a encore du mal à l’appeler ainsi. De toute façon, sans Newt, c’est simplement quatre murs et un plafond, pas vraiment un chez soit. – Tu vas te crever à la tache et c’est lui qui va devoir venir te voir. Jo entend la touche d’humour dans sa voix, mais préfère l’ignorer. Son subconscient entièrement dévoué à Newt préfère l’ignorer. – Il faudrait qu’il en ait envie pour ça. Elle râle à mi voix, s’en veut immédiatement. Elle a du mal, comme tout le monde à s’adapter à un monde sans Newt. Enfin, sans son Newt. – Jo. L’inquiétude remplace l’humour dans la voix de sa sœur alors que Jo espérait qu’elle n’avait pas entendu. – C’est bon, je vais bien, je vais bien, je suis juste… Un peu perdue. C’est tout. Ce n’est pas tout. En réalité, c’est même extrêmement loin d’être tout mais le déni en cet instant précis était nécessaire à son équilibre mental. – Toujours rien ? Elle demande, connaissant déjà la réponse. – Toujours rien. De nature optimiste, Jo aimait à penser qu’il se souviendrait, à un moment où un autre. Au moins de petites choses, d’habitudes quotidiennes, de petits rien. Mais elle avait parfois du mal à s’y tenir. – Ça va aller. Des paroles creuses qui réconfortent pourtant Jo au plus profond d’elle-même. – Je dois y aller Jill, je vais démarrer. Entre temps, elle a réussit à rentrer ses vêtements à l’arrière, à démarrer le moteur et à terminer son café. Elle dépose celui acheté pour Newt dans le contenant adapté avant de raccrocher après un au revoir rapide. Elle avait une petite heure avant de devoir retourner au commissariat et elle entendait bien la passer à l’hôpital.

- Ma chérie, je te présente Nick, c’est notre nouveau voisin. Le sourire de sa mère la désarme alors qu’elle pose à peine un regard sur le dit Nick, qui se tient bien droit à côté de sa génitrice. – Maman, tu as dit que c’était urgent. Tu as dit, je cite, chérie, il faut que tu viennes immédiatement, il y a un énorme problème. Elle observe sa mère, mais ne note aucune culpabilité alors que Jo comprend ce qu’il s’est passé. Et ce qu’il s’est passé c’est qu’elle s’est fait avoir, comme la grosse poire qu’elle est. Elle est même arrivé en pyjama, ne prenant pas le temps de passer quelque chose de plus approprié dans sa hâte. – Putain maman, j’ai grillé deux feux pour venir, tout ça pour venir rencontrer un type ? Elle le montre du doigt, comme si ce n’était pas évident et réalise ce qu’elle vient de dire. – Sans offense. Elle s’excuse plus ou moins auprès du type en question, qui secoue la tête, l’air de se demander ce qu’il fait ici, ou s’il est tombé chez les fous. – Maman, la voix est libre, ils ne copulent pas comme des lapins ? - Oh mon dieu. La gêne s’empare entièrement de Jo qui rougit violemment, qui n’ose croiser le regard de personne tandis que le type commence à se tortiller sur place, tout aussi ravi d’être ici. – Non? Je t’avais dit qu’elle ne tromperait pas Newt. La tête de Jill n’apparaît nulle part, malgré le fait que Jo ait envie de l’emplâtrer contre un mur. – JE NE SORS PAS AVEC NEWT. Jo se défend, comme toujours, depuis plus de quatre ans déjà. Voir plus, si on conçoit les crushs d’ados comme une attaque violente. – Qui est Newt ? Et voila l’autre qui s’y met, bien sur. – Personne. Jo répond, préférant éviter cette conversation, ce qui était sans compter sa mère et sa soeur qui répondent en même temps qu'elle. – Son meilleur ami de qui elle est amoureuse. - MAMAN ! – Mais il a une copine, et il a perdu la mémoire. – JILL ! – Mais Jo est tout le temps là bas, il faut qu’elle rencontre des gens mais elle n'a pas le temps. – MAMAN ! – Pourtant elle est jolie, et super intelligente. Elle a un qi supérieur à la moyenne tu sais. Et tout le monde l’adore à son trav. – CA SUFFIT ! Jo crie tellement fort que tout le monde s’arrête et toutes les têtes se tournent vers elle. Même celle de Jill qui pointe de la cuisine. – JE NE SUIS PAS AMOUREUSE DE NEWT. JE NE SUIS PAS DÉSESPÉRÉE AU POINT DE ME TAPER LE PREMIER TYPE QUI PASSE. Sans offense. ET VOUS ALLEZ ARRÊTER CA TOUT DE SUITE. VOUS DEVRIEZ AVOIR HONTE ! Elle aurait probablement fait une très belle sortie si elle n’avait pas buté contre la porte en sortant. – Jo tu vas ? – TRES BIEN. Elle hurle du milieu de la rue alors qu’elle se précipite vers sa voiture. Grand dieu, mais qu’est ce qu’elle a fait pour mériter une famille comme ça ?

- Jo ? Tirée du sommeil en relative douceur, elle ouvre les yeux et croise ceux d’Esther. – Jo, qu’est ce que tu fais là ? La brune lui chuchote alors que la première chose que Jo cherche se trouve être Newt, endormi dans son lit. – Il dort toujours, comme les gens normalement constitués. Esther sourit légèrement avant de fermer un dossier trainant sur la table roulante. – Rentre chez toi Jo, il va bien. Elle hoche la tête, sachant pertinemment qu’Esther a raison pour autant, elle ne compte pas bouger de son fauteuil. Les heures de visite sont terminées depuis bien longtemps mais ça fait des semaines qu’elle s’est arrangée avec les infirmières. Elle en est à les connaître toutes par leurs prénoms, à leur apporter café et pâtisserie. Elle connaît ces couloirs par cœur et chaque rainure de ces murs. – Jo, rentre chez toi. Une nouvelle fois, elle hoche la tête, frotte ses yeux encore ensommeillés avant de répondre. – Chez moi c’est chez lui. Chez nous. Elle a déjà eut cette conversation des centaines de fois avec les infirmières, qui, tout comme Newt, étaient persuadées que Jo était sa petite-amie. Elle la voit à peine, trop peu souvent au chevet de Newt. Jo ne se voit pas être ailleurs, ailleurs qu’ici, à ses côtés. Elle est persuadée, non, elle sait, au plus profond d’elle-même qu’il aurait fait la même chose pour elle. Alors même si le voir sans le voir, même si l’entendre sans l’entendre creusait un peu plus le fossé entre eux, il était hors de question que Jo l’abandonne. – Je t’apporte un café. Esther soupire, finalement avant de quitter la chambre. Jo la remercie à mi mot avant de se tourner de nouveau vers Newt. Elle l’observe ouvrir les yeux, se réveiller, tranquillement et les poser sur elle. Un sourire ourle ses lèvres alors. – Hey. Il est encore tôt, tu devrais te rendormir. Elle lui dit, doucement, pour ne pas le brusquer. Newt. Elle a perdu son Newt, son ami, son meilleur ami, son tout. Elle l’a perdu alors qu’il se trouve juste devant elle. Une toute autre définition de tourments.