Je crois que j’suis en train de tout gâcher, en train de tout foutre en l’air. Ça fait quelques années déjà que je fais n’importe quoi et plus ça va, plus ça empire. J’étais pourtant plutôt bien parti dans la vie. Fils d’une famille californienne aux revenus assez aisés – sans pour autant faire partie de ces familles pétées de thunes qui se font construire des chiottes en or massif – j’ai grandi tranquillement, sans heurt majeur. Quelques petites bêtises à droite à gauche, mais rien de bien grave, j’pense pouvoir dire sans trop m’avancer que j’étais un gosse heureux. J’avais un bon groupe de copains avec qui je m’entendais super bien, une famille qui a toujours été présente, dans laquelle il n’y a jamais eu de grosses disputes. Non, franchement quand j’y repense, c’était vraiment le bon temps, tout était cool à cette époque. Mais en grandissant les choses changent. Au début de l’adolescence, elles changeaient en mieux, je commençais à découvrir les filles et ça se passait vraiment bien pour moi de ce côté-là, c’était un vrai bonus. Alors que certains de mes potes galéraient ne seraient-ce que pour approcher une fille et lui adresser à la parole, j’étais vraiment décontracté et mon humour m’a servi pour m’attirer de nombreuses bonnes faveurs. Contrairement à ce que beaucoup m’avaient prédit, l’humour ne faisait pas nécessairement de moi le bon pote, celui avec qui les filles voulaient « juste rester ami ». Non, je m’en sortais vraiment bien de ce côté, jusqu’à ce que je tombe sur la bonne, cette fille qui vous fait subitement croire à l’amour, celui qu’on voit dans les films, avec un grand A ou quelque chose du genre, j’n’ai jamais vraiment compris, bref, l’amour, le vrai. Elle m’a fait tourner la tête, je ne jurai plus que par elle, le reste du monde m’importait peu tant que j’étais à ses côtés. J’y étais bien, à ce moment là, il n’y avait aucun autre endroit où j’aurai pu me sentir mieux. C’était ce que James Salter appelle le bonheur parfait, enfin je crois. Lors des quelques mois passés en sa compagnie, je me considérais moi-même comme l’homme le plus heureux et le plus chanceux du monde. Mais le retour de bâton n’a pas tardé à arriver. L’amour c’est bien, c’est beau, mais c’est mieux lorsque c’est réciproque. Il s’avérait qu’elle n’en avait rien à foutre de moi, qu’elle jouait avec moi, que j’étais juste une distraction pour l’aider à passer le temps. Pas de drame comme on l’en voit dans toutes les séries télé. Non, je ne l’ai pas retrouvé dans le même lit que mon meilleur ami, elle m’a juste signifié très clairement qu’elle ne voulait plus être avec moi, qu’elle ne m’avait jamais aimé et qu’elle m’aimerait jamais. Un amour à sens unique qui m’a blessé et qui m’a marqué. Aujourd’hui encore, je garde une profonde cicatrice de cette expérience même si j’ai du mal à l’avouer aux gens qui m’entourent. J’ai beaucoup plus de mal à faire confiance aux gens, beaucoup plus de mal à me lier à eux. Coïncidence ou non, depuis cette relation, je ne suis jamais tombé amoureux, je n’ai d’ailleurs eu aucune relation de longue durée depuis. J’ai pourtant essayé, mais je n’y arrive pas, je me lasse rapidement, je ne trouve personne qui me complète comme elle le faisait, ou plutôt, comme j’avais l’impression qu’elle le faisait. Peut-être qu’au fond, je suis encore amoureux d’elle, après toutes ces années, ou bien amoureux de l’image que je me fais d’elle. A côté de ça, il n’y a plus grand-chose qui me passionne, beaucoup de choses me paraissent fades, j’ai d’ailleurs arrêté mes études. Ca ne me motivait plus, j’ai juste laissé tomber. La seule constante dans ma vie, c’est le skate, j’en fais toujours et je ne suis pas prêt de m’arrêter, ça me permet de me vider l’esprit, et Dieu sait que j’en ai besoin. Malgré tout cela, j’ai envie d’aller de l’avant, de sortir de cette semi léthargie dans laquelle je me suis plongé. C’est dans cette optique là que j’ai décidé de fuir la Californie et tous ces souvenirs que ça implique pour partir loin et prendre un nouveau départ, à Rosedale.