beausoleil. babsi, davonna. vingt-sept avril 1992. rosedale (iberville parish, louisiane). femme enfant dépendante, aphrodite ratée, propriété de tous ceux qui veulent bien la prendre sous leur aile : bien partie pour suivre les traces de sa mère. la majorité du temps, babsi est réceptionniste au swan motel de port allen - une ville moyenne localisée en périphérie de bâton rouge, à 17 miles de rosedale -, ce qui lui permet « d'accompagner » à l'occasion un client dans sa chambre pour quelques billets de plus, glissés dans sa chaussure. en parallèle, elle cultive des plantes médicinales qu'elle revend à la droguerie du village. on la dit aussi diseuse de bonne aventure, liseuse dans les cartes, les feuilles de thé et le marc de café. nombreuses sont les rumeurs qui courent sur la famille beausoleil, leur réputation étant aussi sombre que les flôts noirs et boueux charriés dans les méandres du bayou.

o1. Dans les petites villes, il semble toujours y avoir une famille en particulier qui cristallise les racontars. A Rosedale, il s'agit des Beausoleil. Descendante d'une éminente famille Cajun, les Beausoleil-Atwater (directement affiliés, dit-on, au onzième gouverneur de Louisiane, Alexandre Mouton), on ne se rappelle plus exactement de quel scandale malheureux résulte la séparation des deux branches familiales, les Atwater d'un côté, partis s'établir dans le Nouveau-Bunswick, et les Beausoleil de l'autre, demeurant en Louisiane. Les portraits en noir et blanc ont été perdus avec le temps, les noms des ancêtres ont été oubliés. Babsi elle-même n'est pas sûre de pouvoir se rappeler le visage de sa propre grand-mère, une vendeuse de grigris, retirée dans une caravane branlante stationnée dans les bois, après que son mari, alcoolique notoire, mourut noyé dans le bayou, un soir de pluie où il avait abusé de la bibine.

Chaque génération possède sa Babsi Beausoleil. Avant elle, il y eut Beausoleil, sa propre mère. Et après elle, il y aura une autre Beausoleil, probablement sa propre fille. Ces femmes que tout le monde connait, ces femmes dont la mauvaise réputation les précède. Davonna Beausoleil était une actrice - ratée - jusqu'à ce qu'elle accepte de laisser tomber sa carrière (de toute façon vascillante) pour suivre son mari à Rosedale. Lui était un écrivain maudit et auteur d'un soi-disant manuscrit dont on n'a jamais vu la couleur, qui, dans sa folie, finit par se suicider il y a déjà plusieurs années. Un couple dissolu qui n'a jamais été véritablement accepté par les familles locales. Babsi était déjà née à l'époque, elle n'a presque pas connu son père. Son seul repère a été sa mère, qui n'était pas vraiment un modèle à suivre. A Rosedale, tout le monde connait Davonna, qui traîne de bar en bar, montre ses jambes et fait l'amour mieux qu'aucune autre femme de la ville. Elle est cette mante religieuse, louve, chatte, femme libertine, courtisane de pacotille, poule d'indigence, qui se fait aphrodite nocturne pour ces messieurs qui cherchent une présence féminine lorsque leur femme leur claque la porte au nez.
Babsi, eh bien, c'est la même. Mais en plus jeune. Et les hommes se tournent maintenant vers elle plutôt que vers sa mère. Babsi, ça lui semble normal. C'est comme ça qu'elle a été élevée, c'est ce qu'elle a vécu toute sa vie. Ses repères faussés lui ont inculqué que les relations entre hommes et femmes sont conditionnées par le sexe. A ses yeux, c'est une formalité, c'est comme ça que ça se passe. Les hommes, elles les recueille dans ses bras, n'en rejette aucun. Elle est douce, réceptive, elle fait ça bien. Elle ne comprend pas tout ce qu'on dit sur elle, les mots "putain", "facile", "sorcière" qu'on chuchote sur son passage. Elle ne comprend pas pourquoi ça les dérange, les autres.
Babsi, elle a besoin des hommes, parce qu'elle n'en a jamais eu dans sa vie. Un vrai, pour elle. Pas de père, pas d'ami, pas de copain. Babsi, ça a toujours été cette fille que l'on accepte pour une soirée mais que l'on ignore le lendemain. Elle fait semblant d'être forte, mais avec le temps est née chez elle cette fureur de la défense, ce goût de la protection qui ne laisse place à aucune nuance. Trop connectée à ses sentiments tout en en ayant une vision faussée, elle a besoin de se sentir entourée et de se chercher des modèles. Dépendante des personnalités fortes, elle leur voue un culte désincarné, ce qui s'accompagne d'une peur panique de la dégringolade et de la perte qui lui donne l'énergie de tailler dans le gras de la peau dès la première plaie. Mécanique du maître et son disciple, un classique.

magnus. victoria. nicola peltz