Golightly est son véritable nom de famille, seul le destin aurait pu lui donner celui de l'héroïne de Breakfast at Tiffany's, son roman préféré. Reese. Un prénom sans histoire, ni celui d'une grand-mère, ni celui d'une marraine. Simplement le coup de coeur de ses parents qui cherchaient une sonorité plus anglaise qu'américaine. 7 mai 1987. la Nouvelle-Orléans, the Big Easy. fraîchement célibataire depuis que son fiancé a rompu à quelques mois seulement de se marier.  Fleuriste de formation, elle possède à présent sa petite boutique de fleurs.  excellente à l'origine, celle-ci s'est largement ternie lorsque son infidélité a fait scandale dans toute la ville. A présent, elle est considérée par la plupart comme une paria.

1. Son père est décédé lorsqu'elle avait treize ans. Un accident vasculaire-cérébral qui l'a laissé à l'état végétatif pendant près de huit mois, avant qu'il ne soit admis à l'hôpital de la Nouvelle-Orléans pour des symptômes étranges qui restent à ce jour indéfinis. Le fait qu'il ait été dans l'incapacité totale de communiquer sur l'endroit où il avait mal, ou ce qu'il ressentait précisément, n'ont pas permis d'établir un diagnostic précis. S'il devait sortir à peine quelques jours plus tard, une crise cardiaque aura eu raison de lui avant qu'il ne puisse revoir la lumière du jour. Reese n'était pas présente dans sa chambre, mais sa mère lui en a si souvent parlé qu'elle a pourtant l'impression d'avoir vécu les dernières minutes de son père avec elle. 2. Cet épisode traumatisant de la vie de Reese, alors à l'aube de l'adolescence, l'a conduite tout droit ici, à Rosedale, dans la ville natale de sa mère dont elle s'était échappée après avoir rencontré celui qui deviendrait son futur mari. La perte de son père, couplée à son départ brutal de la Nouvelle-Orléans pour cet endroit paumé au milieu de nulle part l'a rendue profondément amère. Ses relations avec sa mère se sont complexifiées sitôt a-t-elle posé le premier pied dans ce qui sert de centre-ville. Si leur rapport a fini par s'adoucir, Reese ne le doit qu'à l'empathie dont elle sait faire preuve, à voir une mère, la Femme par excellence, la Reine, le modèle unique, aussi dévastée par le décès de son époux. Margaret – Maggie – Golightly ne s'en est jamais remise, et ses sourires ne sont que de façade. Reese a passé des années à voir sa mère se perdre dans l'alcool et la dépression, incapable de l'aider, incapable même de savoir quoi dire, ou quoi faire, pour qu'elle s'en sorte. 3. Reese a grandi beaucoup trop vite, confrontée à l'absence de son père et au mutisme presque total de sa mère – qu'elle rompait de temps à autres pour balancer quelques insanités sans queue ni tête. En charge de leur petit foyer, de leur duo naufragé, elle a choisi de ne pas quitter la ville (ce qui restera son plus grand regret). La culpabilité d'abandonner la femme de sa vie la forçait à rebrousser chemin chaque fois qu'elle éprouvait le besoin de partie de Rosedale et de construire enfin sa propre vie, loin des tourments familiaux. En conséquence, Reese s'est contentée de rester ici et d'attendre que quelque chose se passe. Quelque chose. N'importe quoi. Positif, négatif, seulement quelque chose, pour la sortir de son quotidien déstabilisant de tristesse. Elle a fini par suivre des cours par correspondance pour une vague formation de fleuriste qu'elle a obtenue non sans mal, tout ceci dans le seul but d'assurer un revenu à sa mère et de rester près d'elle. Elle mentirait si elle disait n'avoir jamais pensé au pire. Si elle n'avait même jamais souhaité que le pire se produise, que sa mère s'en aille à son tour pour qu'elle soit enfin maîtresse de son propre destin. Naturellement, tout cela ne reste que des idées folles qui prennent naissance dans son esprit lorsque sa mère va trop loin, au-delà ce qui est encore récupérable. Le reste du temps, Reese se bat pour deux et materne sa propre mère. Un paradoxe qui la rend d'autant plus mature, et d'autant moins conciliante dans ses relations avec les autres. 4. Elle possède depuis un peu moins d'un an sa propre boutique, the Red Blossom. Tributaire d'un emprunt sur au moins 15 ans pour financer sa création, elle est située dans le cœur de Rosedale. Soixante-quinze mètres carré symbolisant la liberté de Reese Golightly. Car à l'intérieur, elle est le seul maître à bord. Qu'il s'agisse de la décoration ou des fleurs choisies, elle a tout choisi seule, sans l'aide (ni l'intervention) de qui que ce soit. Douée pour improviser des compositions florales pour n'importe quelle occasion, elle est régulièrement sollicitée pour les mariages ou, plus tristement, pour les enterrements. Un bouquet de fleurs à offrir à la Saint-Valentin, à moindre coût ? C'est ici qu'il faut se rendre. Pas besoin d'avoir une idée précise en tête, dites-lui simplement l'occasion pour laquelle il vous faut des fleurs et elle s'arrangera pour concocter un petit quelque chose qui ravit la grande majorité des habitants. Elle se diversifie depuis peu, proposant également des produits aux parfums floraux : bougies, encens, parfums aux huiles essentielles, petits paquets de lavandes pour chasser les démons des cauchemars, Reese est la référence vers laquelle se tourner. 5. Jusqu'à récemment, Reese Golightly était fiancée à son amour d'adolescence, Soren. Rencontré lorsqu'ils avaient quatorze ans, ils ont évolué tout naturellement de l'amitié à l'idylle à force de passer du temps ensemble. Leur relation semblait couler de source, et personne n'afficha la moindre surprise lorsqu'ils se mirent en couple, trois ans après leur rencontre. Ils étaient l'évidence-même, immuable, inévitable et sans doute trop facile. Reese n'a connu que lui, n'a aimé que lui, ne s'est imaginée un futur qu'avec lui. C'est avec la même évidence qu'il l'a demandée en mariage un an et demi plus tôt avec douceur et romantisme. Soren est le prince charmant des contes de fée, ou ce qui peut s'en rapprocher le plus, du moins. Patient, compréhensif, présent, attentif, romantique, profondément amoureux. Jamais un mot plus haut que l'autre, jamais de dispute trop grave, jamais de difficulté. La lassitude s'est installée dans leur couple sans que Reese n'en prenne jamais conscience, peut-être trop effrayée à l'idée de recommencer seule sa vie. Soren a toujours été là, dans sa vie, présent pour l'encourager, pour lui dire de suivre ses envies sans jamais tenir compte de l'avis des autres. Soren l'a aimée, bien plus que n'importe quel autre homme, mais – et le problème se situait sans doute là – son amour manquait cruellement de saveur et de piment. 6. Reese, à quelques semaines seulement d'épouser Soren, l'a trompé. Ce n'était pas prémédité, certainement pas destiné à lui briser le cœur. Elle l'a simplement fait, dans les bras d'un touriste capable de réveiller en elle ses véritables instincts, et ses véritables envies. Lorsque Soren l'a appris – un malheureux concours de circonstances, à moins qu'il ne s'agisse du destin – il a dans un premier temps refuser de la voir ou de la parler. Le besoin pressant de savoir l'a poussé à finalement lui demander des explications : pourquoi ruiner un couple qui se portait si bien ? Avant de se couvrir les yeux d'oeillère, de mettre ça sur le compte d'une peur soudaine de l'engagement, quelque chose qui était pardonnable, peut-être même compréhensible quoique douloureux à accepter. Mais ça ne l'était pas et Soren a montré, pour la première fois en dix ans, les limites de sa bienveillance. Il refuse depuis plusieurs semaines de la croiser et développe pour elle des sentiments mêlés de regret et de rancune. 7. Depuis leur rupture, la réputation de Reese en a pris un coup. Désormais regardée avec méfiance, parfois avec méchanceté, beaucoup la jugent avec avidité et son entourage s'est nettement réduit. Bien trop orgueilleuse pour s'expliquer ou même se justifier et s'excuser, Reese encaisse sans rien dire et laisse aux gens le soin de médire à son sujet ou de la traiter de tous les noms. La majorité des habitants les connaissant ont pris fait et cause pour Soren – qui ne fait rien pour les en empêcher – et contre Reese. L'impartialité ? Inexistante, dans une si petite ville où tout le monde se languit de potins croustillants à commenter... jusqu'au prochain scandale. Reese ne s'arrête pas de vivre pour autant, et certains ont fait le choix de la soutenir, indépendamment de leur jugement de valeur. 8. Elle habite à présent du 'mauvais côté' de la ville, dans un appartement minuscule dont elle peut tout juste se payer le loyer (la faute au crédit du Red Blossom). Le seul avantage ? Il se situe non loin de celui de sa mère, à laquelle elle rend visite plusieurs fois par semaine, ne serait-ce que pour s'assurer qu'elle est encore en vie après le litre de vodka bon marché ingurgité en quelques heures seulement. Muette, celle-ci n'a pas fait le moindre commentaire sur la tromperie de Reese, et celle-ci se demande même si sa mère est au courant. La vie, de ce côté de Rosedale, est pourtant bien plus intéressante qu'elle l'aurait imaginé : l'insécurité n'y est pas si élevée contrairement aux rumeurs que l'on propage dans le centre-ville, et Reese y croise à peu près tout et n'importe quoi. Un changement plutôt bienvenu où les regards qu'elle s'attire ne sont pas uniquement dédaigneux. 9. Reese est une passionnée qui ne dit pas son nom. Une fille qui semble couler des jours heureux, tranquilles, et qui les envoie valser en quelques minutes pour le plaisir de quelque chose de plus, quelque chose qu'elle ne sera pas en mesure de toujours contrôler. Elle redécouvre depuis quelques mois le plaisir d'une réelle liberté. Elle peut ainsi aller et venir, quand elle veut, comme elle veut, se mettre minable dans un bar et rentrer chez elle en rampant, rire bruyamment, jurer, pleurer, vivre. La façade se fissure, Reese se redécouvre en femme avide de vie et de nouvelles expériences, de sensations et d'émotions qu'elle avait pourtant bannies. Plus de relation idyllique, plus de besoin de contrôle, ni de perfection, tous ceux qui la pensent malheureuse se trompent. Reese ne s'est jamais sentie plus exaltée que par cette tournure brutale dans sa vie, quand bien même celle-ci s'entrecoupe de moments de regrets et de nostalgie. 10. Reese est une femme simple, qui ne s'embarrasse pas de vêtements de luxe ou de sacs aux matières nobles. Jamais autant à l'aise que lorsqu'elle porte un jean et des converses, la voir bien habillée ou soigneusement maquillée relève du miracle et il lui faut toujours une occasion particulière. Rien ne l'irrite plus que la superficialité de certaines habitantes ou leur façon de penser qu'elles valent mieux que le reste du monde. Elle a fait le choix de ne s'entourer que de personnes qui lui ressemblent, de près ou de loin : des personnes qui ne craignent pas de se casser un ongle, qui se moquent des derniers ragots en ville (et donc de ceux la concernant), qui aiment boire, chanter, danser, crier, rire, pleurer. Reese se redécouvre une jeunesse et celle-ci, elle ne compte pas la laisser passer.

lightwoods. jordane. tez palmer   .