Dans la voiture cabossée par le voyage, arrêtée devant la petite maison, Angie relève ses yeux bleus, soupirant longuement. – Je ne t'attendrai plus Arliss. Arliss pince les lèvres. – Je sais. Il tire sur sa cigarette, une main encore sur le volant. Angie espère mais sait déjà. Elle sait que Arliss va partir, s'évader dieu seul sait où. Elle sait qu'il va encore l'abandonner, une fois de plus, une fois de trop. Elle ne le suit jamais. Non, sa vie est ici et sûrement pas ailleurs. – Je pourrais te supplier de ne pas partir mais je l'ai déjà trop fait. Je suis épuisée de t'attendre. J'en ai marre d'aimer un courant d'air. Arliss bascule sa nuque, l'arrière de son crâne s'écrase lourdement contre son siège. Il a les larmes aux yeux. – Je revenais pour toi, et je reviendrai pour toi cette fois-ci encore. Angie hausse le ton.  – Je ne t'ouvrirai plus ma porte. J'aime Arliss, je n'aime pas l'homme qu'il est devenu. Pour moi, tu es un étranger aujourd'hui. C'en est trop pour elle, elle s'apprête à s'en aller, essaye d'ouvrir la porte mais elle reste verrouillée. Elle s'acharne une minute sur la poignet. – Putain ! Laisse-moi sortir. Arliss déverrouille la bagnole, le cœur lourd. Angie sort en claquant violemment la porte derrière elle. Elle marche jusqu'à sa maison, essuyant sur le chemin les quelques larmes qui coulent à présent. Elle ne se retourne pas, entend seulement le moteur de la bagnole gronder pour disparaître dans la pénombre. 

Angie et Arliss se connaissent depuis qu'ils sont enfants. Leurs pères bossaient ensemble. Les deux petites têtes blondes ont fait les quatre cents coups. Merle était heureux de savoir que Angie pouvait compter sur quelqu'un, même si Arliss se dévoilait déjà petit démon. Elle pouvait compter sur lui, toute son enfance, elle s'est accrochée à Arliss. Elle a pleuré dans ses bras. Elle a ri à gorge déployée en sa compagnie. Ils ont surmonté ensemble les difficultés de la vie. Elle pouvait compter sur lui, autrefois. Puis Arliss s'en est allé quand il avait une vingtaine d'années. Il a disparu dans la nature. Il a pris la route. Il est revenu quelques mois après, allant immédiatement chez Angie. Angie l'a accueilli à bras ouverts, heureuse de le revoir. Elle lui a fait promettre de ne plus jamais repartir. Une promesse que Arliss n'a jamais su tenir. Ils se sont aimés, déjà gamins, ils s'aimaient d'une passion pure. Leur couple a toujours été incertain, volage, perdu entre les différents voyages de Arliss. Oh, Arliss aurait aimé rester pour son Angie, il aurait aimé. Mais il n'a jamais réussi. Il n'a jamais pu jouer le rôle que Angie attendait tant, celui de l'homme qui resterait à jamais près d'elle, qui serait présent dans les bons et les mauvais moments ; un homme qu'elle méritait plus que tout. Mais Arliss n'a jamais été cet homme-là. Alors, il savait. Il savait qu'elle allait rompre ce soir-là. Qu'elle allait lui dire qu'elle en avait assez et qu'elle ne l'attendrait jamais plus. Arliss reviendra toujours à Rosedale, quelque part, il le fera pour Angie, Angie qu'il ne peut aujourd'hui plus que regarder de loin, aimer en silence. Il laisse au temps le bon soin de soigner les plaies sur son âme. Il traîne toujours une photo d'elle dans son portefeuilles. Il la regarde parfois dans sa voiture, quand il erre seul, quelque part dans la Louisiane sauvage. Arliss est réapparu depuis quelques semaines à peine. Il n'ose pas s'approcher de la maison de Angie, comme il n'ose pas mettre un pied au molly's. Il sait qu'il ne verra jamais plus son visage s'illuminer, il sait que, cette fois-ci, Angie ne l'a pas attendu.