foster. si tout n'avait pas foiré, elle s’appellerait aujourd'hui hansen. mais son fiancé a foutu le camp et même après tout ce temps, écrire foster sur les papiers administratifs lui laisse un trou dans le bide. kira, un prénom qu'elle a toujours particulièrement aimé. deux octobre. rosedale. anciennement fiancée mais désormais célibataire, prête à tout pour retrouver l'homme dont elle retombe chaque jour amoureuse depuis maintenant cinq ans.  romancière passionnée par les mots et la vie.  kira, on disait d'elle qu'elle était belle, intelligente, qu'elle avait tout réussi dans sa vie parce qu'elle avait travaillé dur chaque jour pour en arriver là, avec son fiancé, sa belle maison, ses deux livres publiés et le bébé qui ne devrait pas tarder. le bébé qui ne viendra plus puisque jude est parti et qu'il ne reste d'eux que cette grande maison vide et cette bague qu'elle refuse de quitter. kira, on dit maintenant d'elle qu'elle avait tout et qu'on lui a tout pris, que le destin est un salaud et que putain sa vie est triste.

point un. S'il y a bien une chose que Kira sait par dessus tout, c'est qu'il est possible d'aimer trop, mais trop mal.  C'est certainement la seule chose qu'elle ait appris de sa famille... A moins qu'elle ne l'ait appris ailleurs, en regardant les autres enfants qui avaient l'air d'éclat de soleil à travers les yeux de leurs parents quand ses parents à elle la changeaient en ver de terre. Alors elle a grandi comme ça, avec la sensation d'être un caillou dans une chaussure, un de ces cailloux minuscules qui dérangent du matin jusqu'au soir. Malgré tout, Kira n'a jamais douté ni de l'amour de ses parents, ni de celui de sa soeur à son égard. Il y a simplement des gens qui sont plus doués que d'autres avec ces choses-là. Dans sa maison, il y avait bien de l'amour, mais il était bancal, voilà tout.  point deux. Kira a un don pour les mots. Elle a cette éloquence rare qui fait que, déjà gamine, lorsqu'elle se mettait à parler, tout le monde se taisait pour l'écouter. Encore aujourd'hui, les gens font une pause dans leurs discussions pour entendre ce qu'elle a à dire. On tombe sous son charme lorsqu'elle se met à jouer avec les mots, à les faire virevolter dans l'air avec cette douceur qui lui est propre. Et puis parfois, on l'écoute et puis on tombe tout court. Parce que ce truc pour les mots qu'elle traîne depuis des années lui permet aussi de laisser des bleus sur ceux qui la blessent. point trois. D'ailleurs, Kira écrit tout, tout le temps. Elle écrit la liste de courses, la liste des choses à faire avant de mourir, la liste des excuses acceptables que Jude aura le droit de lui sortir lorsqu'il reviendra (parce qu'il finira bien par revenir, il ne peut pas en être autrement). Elle écrit aussi des phrases d'accroche sur des post-it qu'elle fout partout sur les murs de sa baraque, des lettres, et puis des livres. C'est ce qu'elle aime le plus, écrire des livres. Elle regarde les gens autour d'elle, et quand elle s'est assez abreuvée d'eux, elle part s'enfermer dans son bureau et elle écrit. Pendant des heures, parfois même pendant des jours. point quatre.  Sa passion pour l'écriture, elle en a fait son métier. Il y a quelques années, Kira a décidé de fuir Rosedale pour s'établir à New-York. Là-bas, elle a passé des mois à frapper à la porte de maisons d'édition. Elle y a essuyé trente-neuf échecs avant de recevoir un coup de fil, un vendredi matin, un coup de fil qui changea sa vie. Son premier roman fut publié quelques mois plus tard et depuis, son nom ne cesse d'être de plus en plus reconnu dans le milieu du livre. On peut dire qu'elle gagne plutôt bien sa vie, grâce à cela. point cinq. Kira essaye à longueur de journée de se défaire des sentiments qu'elle a pour son ex fiancé, Jude, rencontré à New-York il y a maintenant un peu plus de cinq ans. Le problème, c'est qu'elle a beau essayé de toutes ses forces, elle se réveille chaque matin toujours autant amoureuse, avec tout à recommencer. Elle est tout bonnement incapable de passer à autre chose. Il est sa tumeur, son cancer. On croit être en rémission puis un beau matin, on découvre qu'elle est encore là, la tumeur, qu'elle se planquait juste. L'amour qu'elle ressent pour Jude ressemble à ça, il est ce truc dont on ne guérit jamais vraiment. point six. On la pense forte, Kira. On la pense forte parce qu'elle sourit tout le temps, pour tout et n'importe quoi, quand elle a envie de rire puis surtout quand elle a la flotte qui lui monte aux cils. Elle planque ses faiblesses derrière des sourires et ça la rassure, elle, que les gens pensent parfois qu'elle est faite de pierre, que rien ne l'atteint, pas même ce fiancé parti comme ça, sans vraiment lui donner d'explications. Mais la vérité, c'est que si on s'attarde un peu sur elle, on se rend compte qu'elle traîne du pied, Kira, elle traîne du pied parce qu'elle est fatiguée, depuis toutes ces années, fatiguées de ces treize kilos de chagrin qu'elle cache au fond de son ventre, fatiguée de n'avoir plus personne avec qui partager tout ça depuis qu'il est parti, celui qui l'écoutait des heures sans se lasser du son de sa voix, Jude. point sept. Depuis que son fiancé l'a laissée, Kira a pour elle une grande maison vide. Elle s'y sent toute petite, et pourtant, pour rien au monde elle ne viendrait à l'abandonner, sûrement parce que cela reviendrait à tirer un trait sur eux deux et qu'elle ne peut s'y résoudre. Alors au lieu de la fuir, Kira s'y réfugie et passe désormais le plus clair de son temps à la retaper. Jude rêvait de volets bleu foncé alors elle les a peints en bleu. Il aurait bien aimé un parterre de fleurs à l'entrée mais elle lui répétait toujours qu'elle détestait le jardinage. Il y en a désormais un, qu'elle a fait elle-même après avoir passé des heures à lire des blogs et des magasines. Elle soigne leur maison en ayant l'impression que c'est un peu aussi leur histoire qu'elle répare. point huit. Kira est une jeune femme passionnée. Passionnée par la vie, l'apprentissage, les gens, les livres, les échecs. Elle vit tout à mille à l'heure, tout le temps, parce qu'elle a depuis toujours l'étrange pressentiment que sa vie sera courte, ou tout du moins pas assez longue pour y rentrer toutes ces choses qui lui tiennent à coeur. Cette passion qui court dans ses veines fait d'elle quelqu'un de relativement excessif : elle rit trop tôt, pleure trop vite, dit souvent des choses qu'elle regrette l'instant d'après. Elle veut tout, tout de suite. Parce qu'après, c'est toujours trop loin, toujours trop tard.point neuf. Kira aime sentir le vent dans ses cheveux emmêlés, les dimanches matin ensoleillés, mettre une fleur dans ses cheveux, l'odeur du lila qu'elle a planté devant la maison, se brûler la langue avec du thé, regarder la télévision sans le son, passer des nuits entières à écrire, écouter Jude jouer du piano puis lui faire l'amour, les tartes aux fruits rouges, le bruit de la pluie sur les fenêtres, Paris, les mouchoirs à la menthe, la manière dont Jude avait de la regarder au réveil, cette solitude qui la rassure, porter des robes dénichées au coin de la rue et faire croire qu'elles viennent d'une boutique de luxe, les balades en mer, la vie tout simplement. point dix. Elle déteste par contre l'odeur du café noir, lorsqu'il fait plus de centre-six degrés dehors, son téléphone portable qu'elle laisse éteint la plupart du temps, le son des klaxons dans la rue, les promesses non tenues, les repas de famille avec ses parents, le syndrome de la page blanche, le jour de l'accident de Jude, les portes qui grincent lorsqu'elle est seule à la maison, ne pas dormir au moins sept heures par nuit, les maisons trop rangées, la musique d'aujourd'hui, l'absence de Jude. les petits adjectifs. Kira est naturellement jolie, douce, passionnée, indépendante, vulnérable, pleine d'imagination, débordante d'envie, jalouse, nostalgique, têtue, parfois blessante dans ses paroles, maladroite, intelligente, timide, un peu ailleurs un peu rêveuse, solitaire par défaut, débordée, peu organisée, s'est découverte une main verte, éperdument amoureuse et prête à tout pour reconquérir l'homme de sa vie.

de tout, de rien, entre les deux.

jude, à écrire.